"Italicum": "Pregiudicatum", quand les repris de justice s’assoient à la table des amis

Maria Zei - 14/03/2014



On s'attendait à une grande réforme, mais c'est d'une souris qu'accouche l'Italicum... cette loi électorale entre amis qui n'est que le résultat de la belle alliance entre Matteo Renzi et Sylvio Berlusconi, le repris de justice, une entente qui avait déjà était scellée dans le passé, Matteo Renzi ayant pu être élu à la mairie de Florence grâce à l'aide de Verdini, un très proche collaborateur et ami de Berlusconi*.

La nouvelle loi électorale italienne, tant attendue notamment depuis que la Cour constitutionnelle italienne s'était prononcée sur l'inconstitutionnalité partielle de la loi électorale précédente en décembre dernier1 (entraînant de ce fait l'illégitimité des élections précédentes), n'apporte d'autre nouveauté que celle de mettre en place un bipartisme à l'américaine, avec pour objectif clairement déclaré d'éliminer toutes les petites factions, mouvements politiques à vocation citoyenne (voyez qui est visé), et/ou régionaliste (l'Italie est un système fédéral)2, et même pas de parité.

En effet, alors que la Cour constitutionnelle italienne s'était prononcée sur l'inconstitutionnalité de la règle d'une "prime à la majorité", dite "Porcellum" (cochonnerie), permettant au parti ou à la coalition arrivés en tête, et quelque soit son score, de rafler 55 % des sièges à la Chambre, ainsi que du système de "listes bloquées" -forme de tractations secrètes au sein des partis pour placer leurs poulains-, la nouvelle loi maintient ces deux systèmes, dans des proportions moindres, quoique, mais ces deux méthodes de fonctionnement sont bien toujours dans les textes3

La nouvelle loi prévoit :

- une prime de majorité de 53 % à 55 % des sièges à la Chambre au parti ou à la coalition qui dépasse les 37 % de voix au premier tour. Si aucun parti n’atteint les 37 %, le ballottage se fera entre les deux premières formations arrivées en tête, et la prime sera moins élevée.

- des listes bloquées de quatre à six candidats seules ou en coalition

Comme on le voit la démocratie selon Matteo Renzi, qui n'en est pas à son premier coup, s'accommode de digressions aux décisions des hautes instances institutionnelles et constitutionnelles nationales. A ce propos l'Europe ne prévoit d'ailleurs rien y compris pour encadrer le processus électoral européen.

 

A cela la nouvelle loi électorale rajoute un troisième processus taillé sur mesure pour les deux « grands » partis italiens (Parti Démocrate à gauche auquel appartient Renzi et Parti Démocrate Libéral à droite, auquel s'est rattaché Berlusconi -notez la sensible différence).

Sous couvert d' « ouverture au double tour électoral », elle met en place, non seulement des seuils de barrage élevés (8%) pour contraindre les petites formations à rentrer dans les rangs d'une coalition, mais aussi un système empêchant toute triangulaire: si aucun des partis n'atteint la barre de 37% (comme c'était le cas lors des dernières élections pour le PD, PDL et M5S), un deuxième tour est organisé entre les deux partis en tête, éliminant de facto toute autre formation qui viendrait gêner les petits arrangements politiques entre amis. En l’occurrence en ligne de mire le Mouvement 5 Étoiles, la troisième force politique au pouvoir avec laquelle aucune tractation n'est possible et qui est celui qui vient perturber le jeu électoraliste des formations au pouvoir. Enfin le parti ayant obtenu au moins 52% des voix sera appelé à gouverner.

 

Si la Chambre a majoritairement soutenu Matteo Renzi, grâce à l'activisme renaissant et reconnaissant de Berlusconi, pourtant condamné et déchu de son mandat électoral, se dresse dans sa ligne droite l'opposition du Sénat qui risque de bloquer ses ambitions réformistes. Mais Matteo Renzi ne s’embarrasse pas de ce détail, pour couronnemer cette manœuvre des "Pregiudicatum" (nom donné par le M5S à cette réforme du fait qu'elle sort tout droit d'un deal Renzi/Berlusconi-repris de justice) il a dores et déjà proposé d'abolir, du moins de reléguer cette deuxième chambre au rang de représentation des régions et de lui ôter tout pouvoir de contrôle sur l'état. Le projet de loi est déjà sur la table4

 

Matteo Renzi le sait, le temps joue contre lui, il est pressé d’asseoir son pouvoir si peu démocratiquement arraché, dans sa précipitation semble donner à l'Italie une image dynamique, jeune, active (en comparaison notamment avec celle d'une France qui se meut au rythme d'un pachyderme). Peu importe donc les entorses à la démocratie et les trahisons à l'Italie et aux Italiens. Les prochaines échéances européennes lui apporteront sans doute une première réponse. Que ce soit en rangs dispersés ou non une majorité qui voterait avec "l'Europe" en option sera également un vote de défiance envers lui.

Maria Zei 
Marianne Ranke-Cormier


 


*  Il mistero dei soldi di Renzi e gli aiuti di Verdini  (Gad Lerner) et I misteri del tesoro di Matteo Renzi, quattro milioni e associazioni opache (Il Fatto Quotidiano)

2 Renzi a déclaré notamment: "il n'y aura plus de chantage des micro-partis" http://www.newropeans-magazine.info/pressreview/search/renzi/.