Nous l’avons tous compris : le Brexit n’aboutira pas à une sortie de l’UE. Il provoque en revanche une paralysie du système décisionnel européen et sert une stratégie de prise de contrôle politique de l’UE qui n’a rien de démocratique et tout du « coup d’états ».
Le fait est que dans la crise cataclysmique qui frappe le monde et l’UE depuis bientôt 10 ans, la gouvernance faible que l’édifice technocratique européen actuel fournit, ne suffit plus.
Mais le modèle de gouvernance européenne vers lequel nous envoie le « Brexit », c’est l’Europe national-européiste, celle dont Franck Biancheri1 annonçait la mise en place si l’UE ne parvenait pas à ancrer son système décisionnel dans une légitimité démocratique transeuropéenne, l’Europe des « petits-fils d’Hitler, Pétain, Mussolini, Franco » de son fameux article visionnaire de 19982 .
Après avoir été intransigeante avec les gauches euro-réformatrices incarnées par la Grèce de Tsipras en 2015, l’administration européenne risque bientôt d’être obligée de se soumettre à la volonté politique des gouvernements nationalistes européens coalisés en 2017.
Ce n’est pas la mort de l’UE qui sera ainsi signée mais celle de ses valeurs, principes et objectifs fondateurs, ceux qui nous ont fait accepter la construction européenne depuis 60 ans : paix, indépendance, démocratie, prospérité communes.
Mesdames et Messieurs les dirigeants européens,
La démocratisation du projet européen est donc un objectif de toute première importance désormais : il s’agit de libérer les citoyens de leurs prisons nationales, d’ouvrir enfin des horizons européens à leurs aspirations politiques, de créer les conditions du « coup démocratique européen ».
Changer d’état d’esprit
- Pour cela, il suffit de reconnaître que l’Union européenne est bien est une construction politique. Dès lors que l’Union politique est admise, sa démocratisation devient non seulement pensable mais impérieuse.
- Il faut ensuite admettre que les élections législatives européennes ne sont pas un vrai moment de validation démocratique des grandes orientations politiques de notre continent : de cet agglomérat d’élections nationales, aucun débat européen n’est jamais né. En reconnaissant cela, l’UE s’autorise à inventer quelque chose de plus convaincant en matière de démocratie européenne.
- Quant aux référendums, il faut cesser de demander aux citoyens s’ils sont pour ou contre l’Europe ! La construction européenne est en cours depuis 60 ans maintenant. On ne demande pas à un poisson s’il est pour ou contre l’eau sans le rendre fou et le pousser au suicide!
Donner l’oxygène européen aux débats politiques du continent
A la place, il est largement temps de demander aux Européens ce qu’ils voudraient que l’Europe fasse pour eux :
- comment l’Europe pourrait-elle permettre un retour à la paix sociale dans les différents pays de l’UE?
- comment l’Europe pourrait-elle aider à recréer la capacité de financement des infrastructures, hôpitaux, écoles… qui faisait la fierté de notre continent ?
- comment l’Europe pourrait-elle relancer l’économie d’une manière qui profite à tous les Européens ?
- comment l’Europe peut accélérer la transition énergétique et inventer de nouveaux modèles économiques soutenables ?
- comment l’Europe pourrait-elle définir une fois pour toutes ses limites géographiques et les rendre protectrices sans s’enfermer dans une forteresse ?
- comment l’Europe pourrait-elle apaiser ses relations avec ses grands voisins russes, turcs, américains… sans se coucher devant aucun d’entre eux ?
- comment l’Europe pourrait-elle contribuer positivement à la diminution des immenses tensions géo-politiques mondiales ?
…
Poser les questions européennes aux citoyens européens
Comme dans toute démocratie, les conditions doivent être réunies pour que différentes visions s’expriment et que les citoyens puissent choisir entre elles.La démocratie n’est pas un langage oui-non. En reconnaissant ce point, pourront se déployer les conditions d’un vrai débat constructif et enrichissant, un débat qui grandisse les citoyens… et ses dirigeants, et renverse le mouvement actuel.
Un « coup démocratique européen », c’est « tout simplement » une élection européenne, une vraie, dans laquelle se confrontent des visions de l’Europe - au lieu des agendas des partis nationaux des Etats qui la composent, une élection invitant les citoyens de différents pays à un débat et à un rendez-vous communs (circonscription unique, listes et programmes transeuropéens représentés par des équipes plurinationales, campagne commune, poids de vote identiques).
Balayer les objections : « Cela paraît toujours impossible tant que ce n’est pas fait » 3
Si vous le voulez, vous le pourrez.
Les 28 ne pourront pas s’entendre sur un tel projet ? Il suffit que quelques pays centraux se mettent d’accord sur sa tenue pour générer une saine dynamique de débat transeuropéen. D’autres se rallieront à l’initiative. Après tout, l’UE est un espace de coopération renforcée… pourquoi pas en matière de démocratisation ?
Les Traités vous en empêchent ? C’est que les Traités sont des Traitres et doivent être contournés ; les national-Européistes vont de toute façon s’en charger bientôt. Et personne ne pleurera la « traitocratie » mortifère qui s’est instaurée pour combler l’absence de gouvernance politique vivante de l’UE.
Il n’y a pas de partis politiques prêts à concourir dans une élection transeuropéenne ? Le seul moyen de faire émerger les mouvements transeuropéens dont le continent a besoin pour sa démocratisation, c’est de lancer une élection transeuropéenne. Les trois décennies de générations Erasmus sont depuis longtemps prêtes à s’organiser.
Vous n’avez pas confiance dans les citoyens européens qui risquent de « mal » voter ? Ce ne sont pas les citoyens qui votent mal, ce sont les questions qui sont mauvaises. Il est temps de poser des questions-européennes ouvertes aux Européens et non des questions-européennes fermées aux Français, Allemands, Italiens… Cela fera toute la différence.
Il n’y a rien à élire dans l’UE ? Pourquoi ne pas nous faire voter sur un exécutif de l’Euroland4 ? Nous sommes 300 millions à être indissolublement (cette fois, c’est la Grèce qui l’a prouvé) liés par cette monnaie commune, ce « souverain » commun. Quelle meilleure base de lancement pour une union politique et démocratique de notre continent ?
Vous serez dans les livres d’Histoire… mais par quelle porte voulez-vous y entrer ?
Aujourd’hui des forces néfastes tentent de prendre le contrôle du continent. C’est dans ce danger mortel que vous devez trouver les forces et la volonté pour inaugurer la dernière étape de la construction européenne, sa démocratisation, qui doit remettre aux mains de ses bénéficiaires ultimes - les citoyens européens - la machine technocratique dont tentent actuellement de s’emparer des gouvernements national-européistes.
Donnez-nous l’élection dont nous avons besoin pour donner le meilleur de nous-mêmes ! Et soyez les premiers à relever le défi de l’invention de la démocratie transnationale dont le monde entier à besoin pour ne pas continuer à basculer dans le cauchemar.
Bien respectueusement,
Collectif du Réseau Franck Biancheri , le 20/07/2016:
Marie-Hélène Caillol, Présidente de l’Association des Amis de Franck Biancheri et Présidente du Laboratoire européen d’Anticipation Politique LEAP, Marianne Ranke-Cormier, Vice-Présidente AAFB, Christel Hahn, Présidente IRPA, Geta Grama-Moldovan, Directrice administrative GEAB by LEAP, Veronique Swinkels, Directrice Euro-BRICS by LEAP, Pierre-Marie Pagès, Directeur Général Anticipolis, Jose-Maria Compagni Morales, Directeur LEAP Academy,
1 Franck Biancheri s’est battu de ses années étudiantes à sa mort, 30 ans plus tard en 2012, pour la démocratisation européenne, prophétisant inlassablement l’échec du projet de paix et de prospérité commune mis en place à l’issue de la 2ème guerre mondiale, si l’UE ne parvenait pas à se démocratiser. Face à l’évidente justesse de ses analyses, ses amis et compagnons de route se sont réunis en Réseau Franck Biancheri pour poursuivre le plus loin possible son travail. Cette lettre, rédigée par leur collectif, s’inscrit dans cette fière lignée de réflexion et d’action.
2 Source : Quand les petits-fils d’Hitler, Pétain, Franco et Mussolini prendront le pouvoir dans l’UE, Novembre 1998, Europe 2020
3 Nelson Mandela
4 Franck Biancheri, Europe 2020 et LEAP travaillent depuis près de 20 ans sur l’idée que la démocratisation de l’UE passera par celle de l’Euroland. Source : En route vers un nouveau cadre opérationnel et « souverain » pour l’Europe : Euroland, LEAP , 12/02/2014
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Open Letter to the European Leaders: Countering the British nationalist takeover with a European democratic blow - Towards a first real trans-European election
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Offener Brief an die europäische Führung: Nur ein europäischer demokratischer Umsturz kann den durch Großbritannien ausgelösten Staatenstreich verhindern - Für eine erste wirklich transeuropäische Wahl