Ukraine: L'UE est responsable. Il faut agir maintenant!

Marianne Ranke-Cormier - 24/01/2014

Une autre brique du mur de Berlin vient de retomber sur l'Europe. Le jour même de la chute du mur de Berlin, Franck Biancheri écrivait que "l'éclatement du bloc soviétique et la remise en cause de la division en deux de l'Europe obligent la Communauté à définir des objectifs et des priorités claires dans ses relations avec les pays européens de l’Est". L'une d'elles étant de "Maîtriser le développement géographique de la Communauté en en définissant clairement les critères et les modalités". L'actualité malheureusement éclaire de nouveau l'incapacité de l'UE à mettre en place de tels outils stratégiques, la faiblesse et le manque de vision de ses dirigeants et institutions qui la conduisent dans des impasses politiques et à trahir la confiance des citoyens au delà et en deçà du mur.



La situation dramatique qui se déroule actuellement en Ukraine ne peut laisser indifférent, des manifestations qui dégénèrent en guerre civile avec des morts, à nos frontières et dont nous sommes en grande partie responsables. Elles nous rappellent les différents spasmes que ce pays et ses habitants ont déjà vécus, pris en tenaille entre une UE championne de l'hypocrisie et une Russie qui préfère s'appuyer sur des partenaires à régimes démocratiques douteux.

Les briques du mur de Berlin n'ont pas fini de nous tomber dessus. Franck Biancheri († oct. 2012) écrivait le jour même de la chute du mur: "Le destin de l'Europe est en train d'échapper aux deux "Grands" et il va venir frapper à la porte des Européens." et appelait les instances communautaires à définir très rapidement une véritable politique d'élargissement et de voisinage basée sur une réelle implication des citoyens de part et d'autre de l'ancien mur. 

Les deux "Grands" ne laissent pas s'échapper si facilement le destin de l'Europe et la situation actuelle en Ukraine est la conséquence directe de la politique irresponsable de l'UE. Sous la conduite de Catherine Ashton, cheffe de la diplomatie de l’UE, cette crise est le résultat non seulement de l'incapacité de l'UE à mettre en place des outils stratégiques, de la faiblesse et du manque de vision de ses dirigeants et institutions, mais aussi d'une d'une trahison. En 2009, dans son article "Ukraine : call for the EU to be more than ‘preoccupied’ - Act now!" Franck Biancheri écrivait que l'UE devait être claire et intransigeante tant vis à vis de son voisin ukrainien que russe: pas de négociations avec des états dont  les principes ne répondraient pas aux valeurs fondamentales en terme de démocratie et des droits de l'hommeDiplomatiquement affaiblie face à la Russie, manipulée en sous-main par les intérêts USUK au nom d'une nouvelle guerre froide contre la Russie ennemie d'hier, qui sur le terrain de la politique internationale et de voisinage de l'UE peuvent encore exercer leur pouvoir de nuisance, l'Europe est entraînée dans leur fin de règne chaotique. Mais l'UE était tellement sure d'elle, elle avait vendu la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Une UE même prête à acheter ses voisins pour asseoir l'"empire". 
 

Si l'UE n'était pas venue la bouche en coeur pour faire le siège de l'Ukraine, si l'UE avait tenu compte de la spécificité du peuple ukrainien partagé entre Europe et Russie, si l'UE n'avait pas tourné le dos avec mépris à la Russie, si elle avait écouté Poutine, si elle avait engagé comme il se devait d'un point de vue diplomatique, et comme les Russes l'avaient réclamé, des négociations triangulaires: UE - Ukraine -Russie, nous aurions pu éviter que les Ukrainiens ne se déchirent comme nous le voyons malheureusement aujourd'hui, et l'UE aurait été épargnée de la grande claque diplomatique qu'elle s'est prise à la face du monde.


Face à un gouvernement à la légitimité certes fragile, des opposants formant une communauté entretenue par plus de 2500 ONG financées depuis les Etats-Unis et l'UE, qui se lève contre son gouvernement mais aussi son peuple, attisée par des guides idéologiques, dont certains sont encore plus souverainistes que les chefs des états membres de l'UE qu'ils prétendent vouloir rejoindre ou portent des agendas financiers et économiques secrets, qui brandissent le drapeau européen en crachant sur les premières de nos valeurs: démocratie, liberté, tolérance et solidarité. Personne n'est dupe que George Soros, premier défenseur d'euromaidan, spécule pourtant sans scrupule sur l'effondrement de l'Ukraine et de l'Euroland. Que penser quand on retrouve parmi les plus véhéments opposants des personnes comme le très populiste Vitali Klitschko ou le nationaliste d'extrême-droite, Oleh Tyahnybok? Pour une UE en pleine dérive, elle aussi en proie des pires démons qui spéculent sur son effondrement politique, rien ne semble choquant.
Aucun doute non plus que la Russie et Poutine n'aient pas été de reste. Eux aussi ont leurs sbires et agents de propagande, eux aussi ont su comment "acheter" et garder leur pays satellite au sein du giron de la CEI, mais cette attitude là, même si nous sommes devenus experts dans le même 
exercice, elle ne peut être politiquement correcte dans notre vision du monde (Recevoir des milliards de la Russie ou du Golfe, est-ce vraiment pire que d’être aidé par les pays occidentaux?).

Aujourd'hui, il faut sauver l'Ukraine et les Ukrainiens du naufrage. Nous sommes en situation de "guerre civile". Un pays déchiré entre deux communautés, deux visions, ce qui s'avère géo-politiquement tellement vrai... Nous ne pouvons pas simplement assister à ce qui se passe de l'autre côté des frontières sans réagir. Il ne s'agit pas de donner de blanc seing ni à l'une ni à l'autre des parties, mais d'aider à trouver des solutions constructives pour permettre aux Ukrainiens de sortir de ce chaos.

Après avoir mis le feu aux poudres et semé le chaos, nos dirigeants de l'UE si fiers alors de leur beau contrat, font maintenant la politique de l'autruche, le sujet n'est même pas à l'ordre du jour du sommet UE/Russie! Or il faut en parler! Nous sommes directement concernés. D'une part, c'est tout de même notre drapeau qui est utilisé comme signe ralliement de cette révolution (euromaidan), d'autre part l'UE est responsable de cette montée de violence et de ces morts. Ils pèsent autant sur notre conscience que sur celle du gouvernement et de l'opposition figés dans leur position et revendications.

Les partenaires européens de l'Euroland doivent maintenant prendre position. Il est clair que l'UE a perdu toute légitimité, toute crédibilité, à intervenir dans cette affaire. Il ne s'agit pas de prendre des sanctions. Mais l'Euroland doit être clair. D'une part face au gouvernement ukrainien: celui-ci ne peut se servir du traité comme monnaie d'échange de la paix civile dans son pays (et du coup gagner sur les deux fronts financiers), mais nous pouvons agir, aux côtés de la Russie, comme force de dialogue, d'accompagnement pour une sortie de crise acceptable pour ses dirigeants. D'autre part face aux manifestants: il ne s'agit pas d'entamer des négociations d'intégration de l'Ukraine à l'UE, mais bien de mettre en place des relations privilégiées qui permettent aux Ukrainiens de consolider un état fort entre la Russie et l'UE, qui vit pleinement son identité et sa souveraineté. Non, nous ne leur offrons pas l'Europe sur un plateau, nous ne les aiderons pas à renverser un gouvernement par des voies non démocratiques, mais nous pouvons les aider à se rapprocher de ce que sont nos valeurs de démocratie et de liberté, si telle est leur revendication. 

Il est urgent de faire cesser les affrontements en appelant une certaine partie de l'opposition dans la rue qu'elle accepte d'agir avec responsabilité de façon démocratique, appliquant les principes sur lesquels elle s'appuie haut et fort, et non pas en menaçant ou en exigeant des conditions inacceptables pour un gouvernement qui s'accroche à sa légitimité démocratique. L'opposition ne représente aucune majorité, elle est divisée, elle n'est pas légitime en soi. A elle de prouver qu'elle est une ouverture, mais de façon responsable, en éliminant les éléments qui la perturbent et en s'organisant sous forme d'initiative citoyenne qui réunirait l'ensemble de la société civile ukrainienne, de l'est comme de l'ouest, europhile ou russophile, autour d'un projet de réforme démocratique et juste qui tienne compte des besoins et des attentes de la société civile ukrainienne.


Cette voie de la réforme démocratique de l'Ukraine ne passe pas par l'UE. On ne détourne pas des frontières pour imposer des changements sociétaux et politiques. L'UE elle-même souffre d'absence de démocratie. C'est au peuple ukrainien lui-même d'être porteur de ce projet, porté par ses jeunes, ses étudiants, ses forces vives, qui plutôt que de se laisser entraîner dans la destruction, plutôt que de brûler les drapeaux, déceler les statues, pourraient être force de proposition constructive. Et c'est ici que Russes et nous Européens, et plus particulièrement nous les citoyens de l'Euroland, porteurs d'idées innovantes pouvons intervenir et offrir notre soutien. Plutôt que de signer des pétitions, ou d'aller brandir le drapeau européen sur les places de Kiev, comme si elle était déjà conquise, engageons le dialogue et aidons à construire en Ukraine, ce qui sera la démocratie de ce pays.

Trouver de nouvelles voies pour mettre en place une autre politique de voisinage, trouver un équilibre entre des communautés régionales voisines, dans le respect de l'identité de chacun, ce serait là la grandeur de l'Europe. Un défi à relever par les citoyens de l'Euroland, auquel Newropeans attachera toute son attention. Pour l'Ukraine, il faut agir maintenant!

Marianne Ranke-Cormier
(Présidente de Newropeans)

 
Liens:
- Sur qui vont tomber les briques du Mur de Berlin ? (Franck Biancheri - 10 novembre 1989)
http://www.newropeans-magazine.org/content/view/10287/299/lang,english/
- Ukraine : call for the EU to be more than ‘preoccupied’ - Act now! (Franck Biancheri - 26 November 2009) 
http://www.newropeans-magazine.org/content/view/10331/238/lang,english/
- Ukraine : le bain de sang
http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2014/01/23/ukraine-le-bain-de-sang,1175539.php

et aussi:
http://www.liberation.fr/monde/2014/01/22/ukraine-un-manifestant-tue-a-kiev-dans-les-affrontements_974653
http://french.irib.ir/info/international/item/311464-ashton-appelle-%C3%A0-l%E2%80%99arr%C3%AAt-imm%C3%A9diat-des-affrontements-en-ukraine
http://www.bueso.de/node/6904
http://www.radioislam.org/islam/english/jewishp/ukraine/sorosbuysukraine.htm
http://www.politaia.org/wichtiges/hat-ashton-gelogen-janukowitsch-droht-entlassung-von-beamten-an/
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ioulia_Tymochenko
http://www.transcend.org/tms/2013/12/ukraine-natos-eastern-prize/
http://www.slate.fr/story/81651/aide-russie-golfe-autocratie-union-europeenne-occident
http://www.transcend.org/tms/2013/12/ukraine-natos-eastern-prize/
http://fr.ria.ru/world/20140122/200284868.html