Europe, la trahison des élites: le glas pour la Démocratie dans l'UE

Franck Biancheri 2007 - 27/03/2014

17 octobre 2007, le Financial Times publiait hier les résultats d'un vaste sondage réalisé dans cinq états les plus peuplés de l'UE (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie et Espagne), rassemblant plus des deux-tiers de la population de l'UE. Ce sondage confirme de manière très claire, ce que n'importe quel Européen peut constater en discutant avec ses concitoyens : une très vaste majorité de citoyens européens (entre 63% et 76%) souhaite un référendum sur le projet de nouveau traité européen.
26 mars 2014, un chef d'état américain et deux chefs d'institution européennes, non élus, décident du sort des 28 états et de 500 millions de citoyens européens en s'engageant fermement dans le processus de signature d'un traité de libre échange transatlantique, sur un fond de crise géopolitique transcontinental européen avec l'affaire de l'Ukraine. Et il n'est bien évidemment pas question de consultation, ni encore moins de référendum. Quant au débat public, celui qui devrait se tenir avant chaque échéance électorale, et donc celle de mai prochain, il vient tout simplement d'être confisqué par les médias au profit exclusif de deux grands groupes du Parlement européen: PSE et PPE, image à laquelle le paysage politique est maintenant réduit dans la plupart des états membres entre les principaux partis nationaux, les conservateurs et les socialistes, pour s'assurer que d'autres forces citoyennes ne viennent pas remettre en cause le bel ordre américaniste établi.
Franck Biancheri en octobre 2007 décrivait déjà comment les élites européennes trahissaient leurs citoyens tant sur le projet communautaire que sur les valeurs démocratiques qu'il est censé promouvoir, et comment ce faisant elles sonnaient le glas pour la Démocratie dans l'UE. Nous vous en proposons en lecture ci-dessous.



Les 3 hommes qui décident aujourd'hui de l'avenir de 500 millions d'européens!
Les 3 hommes qui décident aujourd'hui de l'avenir de 500 millions d'européens!




Europe: la trahison des élites (Franck Biancheri oct. 2007)

Le Financial Times publiait hier les résultats d'un vaste sondage réalisé dans cinq états les plus peuplés de l'UE (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie et Espagne), rassemblant plus des deux-tiers de la population de l'UE. Ce sondage confirme de manière très claire, ce que n'importe quel Européen peut constater en discutant avec ses concitoyens : une très vaste majorité de citoyens européens (entre 63% et 76%) souhaite un référendum sur le projet de nouveau traité européen.

Pourtant, partout (sauf en Irlande où le référendum est obligatoire sur un tel sujet), les élites politiques, intellectuelles, médiatiques et d'affaires s'accordent à tout faire pour empêcher tout nouveau référendum.
Bien entendu, on trouve au premier plan les politiques, les chefs d'Etat ou de gouvernement comme Sarkozy, Merkel, Brown, Prodi, Zapatero, Balkenende, Rasmussen, ... ; les grands groupes du Parlement européen (PSE, PPE, ...), les principaux partis nationaux,et en tout cas, dans chaque Etat membre, les conservateurs et les socialistes.

On trouve aussi les bureaucrates, avec au premier chef, le patron de la Commission, Barroso, et derrière lui, toute la kyrielle des petits marquis bureaucratiques que sont les "ministres des Affaires européennes".
Autour d'eux, la sphère des affaires est évidemment contre un référendum. Le "big business" et la démocratie n'ont de toute façon jamais entretenu de relations vraiment chaleureuses.

Les "pro-européens" habituels, financés par les bureaucrates, les politiques ou les milieux d'affaires, quant à eux se consolent en jouant à des plans "D", croyant que la lettre D signifie "Démocratie" alors qu'elle veut dire "Deception", mot anglais qui signifie "tromperie".

Et, symptôme peut-être le plus éloquent de cette trahison des peuples par les élites nationales, les élites intellectuelles et culturelles soutiennent (au minimum en restant muettes sur le sujet) un passage en force du nouveau traité, plaçant les 500 millions d'Européens au rang de simples spectateurs de leur avenir collectif. Il est vrai que sur l'Europe, elles en sont toujours au risque de guerre entre la France et l'Allemagne et à la problématique de l'holocauste. Or on ne peut pas continuer à se vautrer dans le passé et espérer comprendre l'avenir.

Pour terminer cette liste honteuse, je ne m'attarderai pas sur les journalistes des grands médias nationaux, qui ont depuis longtemps abandonné tout principe et toute vertu en matière européenne et politique. Servir le puissant du jour est devenu leur seul principe éthique. La trahison du soi-disant 3ème pouvoir est consommée depuis longtemps.

Ainsi, donc, après avoir vu leur "bébé institutionnel" rejeté brutalement par deux peuples fondateurs de l'UE il y a un peu plus de 2 ans, et après avoir nié les enseignements politiques profonds de ces votes, nos élites tombent les masques et reconnaissent qu'elles n'ont plus confiance dans leurs concitoyens.

Pourtant, quatre choses vraies et fondamentales à la fois, étaient clairement ressorties des référendums de la mi-2005 :
  • l'Europe pouvait intéresser les électeurs et aboutir à des débats publiques intenses et de fortes participations électorales
  • c'était bien sur les questions européennes que s'était jouée la victoire du Non, et non pas sur des questions de popularité des dirigeants du pays
  • le Non n'était pas un vote de rejet du projet européen, mais un rejet de la méthode (ignorant les citoyens), utilisée ces dernières décennies pour réaliser ce même projet.v Les mêmes résultats, victoire du Non, se seraient reproduits pratiquement partout dans l'UE (en particulier en Allemagne) s'il y avait eu d'autres référendums.
Car en effet nos élites ont menti.
Elles ont très bien compris que les citoyens n'étaient pas ces "idiots" que se plaisent à décrire les éditorialistes des grands médias ou les "pro-européens" convaincus qui peuplent les cocktails d'ambassades de nos 27 capitales. Et qu'au contraire, nos concitoyens commençaient à devenir très exigeants en matière de politique européenne : ils avaient des opinions, et non plus seulement des questions. Ils passaient ainsi du stade de sujet au stade de citoyen. Ils voulaient pouvoir influencer les évolutions et non plus seulement être conviés à applaudir/approuver les "sages décisions" des élites. Ils ne se reconnaissent plus dans ces bambins jetant des ballons en l'air dans un ciel d'azur, sur fond de 9ème symphonie de Beethoven. Les bambins ont grandi et sont devenus des adultes.

Mais évidemment pour se confronter à ces citoyens adultes et à leurs exigences démocratiques, il faut avoir une vision d'avenir, savoir la défendre contre une critique pertinente, ... et surtout savoir de quoi on parle (ce qui est souvent le minimum que demande un citoyen pour être convaincu). Or, en la matière, nos élites sont tragiquement incompétentes. Sur le seul projet d'avenir de leurs 500 millions de concitoyens, elles n'ont que des banalités à raconter, du genre : "être pour, c'est bien; et être contre, c'est mal".

Car, en fait la vérité, c'est qu'elles n'y connaissent rien; ou plutôt elles n'en connaissent que de tous petits bouts, ceux de leurs petites affaires européennes (subventions, boulots, contrats européens) et sont bien incapables de transformer tout ça en un projet politique.

Enfermées depuis des décennies dans leurs petits partis nationaux, dans leurs petits débats intello-culturels nationaux, dans leurs petits intérêts nationaux, formées pour un grand nombre il y a une vingtaine/trentaine d'années dans les universités américaines, ces élites ne connaissent Erasmus que de nom, leurs voisins européens que par les vacances, et leurs propres concitoyens pas du tout. D'ailleurs, elles ont peur de tous ces gens qui veulent leur demander des comptes quand ils devraient juste leur dire "merci" de bien vouloir les consulter.

Alors, pour elles, les référendums de mi-2005 ont sonné comme le tocsin. "Attention danger démocratique" ont-ils traduit le vote des citoyens. Donc, la solution s'est imposée d'elle même : puisqu'ils n'arrivent plus à convaincre les citoyens, ils suppriment l'exigence d'avoir à les convaincre. Et ils se rabattent sur cette bonne ratification parlementaire qui avait permis d'avoir des majorités soviétiques à 90% dans plusieurs Etats membres, lors des ratifications du projet de constitution européenne.

Ce faisant, poursuivant leur trahison des principes fondamentaux du projet commun européen né après-guerre de la volonté d'ancrer durablement la démocratie sur notre continent, nos élites nationales ne se rendent pas compte qu'elles transforment le tocsin en glas. Ce pourrait être ainsi le glas pour la Démocratie dans l'UE si on les laisse faire.

Mais, avec Newropeans, nous sommes convaincus que nous pouvons faire vivre la démocratie au niveau européen, et que ce glas soit en fait celui du contrôle des élites nationales sur le projet communautaire.

Comme l'illustre le sondage du Financial Times, nous sommes plusieurs centaines de millions d'Européens a en avoir plus qu'assez d'être pris pour des idiots ou des bambins irresponsables. En Juin 2009, quatre ans après les fameux référendums, il sera temps de le montrer de la façon la plus exemplaire qui soit : pour la première fois, ensemble et démocratiquement.

Franck Biancheri
Président Newropeans
"La trahison des élites" - octobre 2007