La France et l’Europe de nouveau face à l’effroyable: le terrorisme

Marianne Ranke-Cormier - 17/11/2015



Les attentats meurtriers à Paris de vendredi 13 novembre (car il s’agit bien cette fois-ci d’attentats, et non pas de règlement de compte terroriste, comme dans l’affaire de Charlie Hebdo, alors acte de terrorisme ciblé contre des personnes qui “gênaient”) ont rappelé aux Français et aux Européens que l’état de guerre que nous menons à des milliers de kilomètres de là, n’est pas sans conséquence chez nous.

On a bien voulu se persuader après Charlie Hebdo d’une “grande communion” de l’ensemble de la population, non seulement française mais aussi européenne, et que cela suffirait pour faire barrière aux terroristes, mais les événements dramatiques ont cette fois-ci une tout autre figure.

Le cadre religieux, la question ou non de la faillite de l’intégration, la défense de valeurs sociétales, ont été bien dépassés, car il s’agit aujourd’hui de lutter contre une cible contre laquelle nous sommes en guerre, nonobstant les commentateurs et les politiques qui réfutent cette définition, ne voulant reconnaître à Daesh, qui a revendiqué les attentats de Paris, le statut d’”état”. Mais une guerre n’est pas forcément contre une structure bien définie, établie, elle peut aussi être interne ou se conduire contre des groupements d’individus sans statut particulier.

Et puis on n’ira pas nous dire le contraire, lâcher des bombes, pilonner des convois, des campements militaires, tenter d’éradiquer un ennemi localement repéré, lui arracher des places fortes, le déloger de villes, même s’il n’y a pas de soldats sur le sol (car il y en a en l’air et dans les mers), même si c’est à des milliers de kilomètres de notre propre territoire, c’est bien une guerre. Ou bien serions-nous devenus aussi négationnistes que les Américains quand ils niaient la réalité de la guerre du Vietnam ou encore de cette guerre en Afghanistan où l’on a prétendu simplement combattre le terrorisme là aussi ?

Force est de constater, même si ce tragique événement s’est joué à Paris, en France, tous les Européens sont interpellés, d’une façon totalement différente par rapport à l’attaque de Charlie Hebdo. Si Charlie Hebdo interpellait les citoyens sur la défense de leurs valeurs, combats de centaines d’années pour aboutir à une liberté d’expression non soumise à l’omerta d’une quelconque communauté -des valeurs qui ont été couchées sur papier, reconnues par l’ensemble des états européens, et défendues par les instances européennes établies en gardiennes dès leur fondation- les attentats de Paris interpellent cette fois-ci les institutions européennes elles-mêmes d’une nouvelle façon.

La trans-européanisation (voire l’internationalisation) de l’organisation terroriste interpelle la capacité « européenne » à faire face aux défis du terrorisme sur son territoire européen; l’origine de l’un des auteurs kamikazes interpelle les autorités européennes sur leur capacité à gérer la crise des migrants et à mettre en place des politiques qui puissant garantir accueil et sécurité, ; et enfin l’acte en lui-même interpelle la capacité de l’UE à arrimer une politique internationale commune avec le soutien de ses citoyens, ne serait-ce que de décider démocratiquement si oui ou non la lutte contre Daesh est un combat véritablement trans-européen, et pas seulement une guerre menée par quelques états qui mettent en péril l’ensemble de la population européenne (nous ne sommes plus au début du 20ème siècle).

Quelles sont les actions, quelles sont les politiques que l’Europe, les chefs d’état et de gouvernement pris en leur ensemble et/ou les institutions européennes en tant que garante de l’unité européenne, ont mises en place ? Depuis la crise des migrants le chœur européen résonne de manière bien cacophonique. L’hymne européen « Ode à la Joie » de Beethoven a bien du mal à être orchestré.
Depuis plus d’une dizaine d’années aucune vision européenne de politique internationale n’a pu être initiée. Nous payons maintenant les conséquences catastrophiques des deux commissions Barroso, et des années de Haut-Commissariat Ashton, qui à l’époque avaient sans doute bien arrangé les états-membres, mais se révèlent bien néfastes aujourd’hui. Crises irakienne et afghane, guerre en Ukraine conflit syrien, embargos sur des pays comme l’Iran, la Russie, l’époque Barroso, alors que l’UE aura obtenu juste à ce moment-là le prix Nobel de la Paix, n’a rien eu de pacifique. Au contraire, elle n’a été que l’image d’une Europe impérialiste avec des visées d’expansionnisme territorial, qu’elles soient économiques, politiques, cela n’a aucune importance… 1

Il en est de même en France dont les hauts responsables de la politique aux affaires étrangères/européennes n’ont été que le miroir de Barroso/Ashton au niveau européen.
Le défi est maintenant bien installé, bien présent, pesant et pressant et on n'est pas si mécontent que François Hollande reprenne enfin les rênes, après des années de politique gouvernementale internationale catastrophiques. Exit le Ministre aux Affaires étrangères et au développement français. Exit le Secrétaire d’état aux Affaires européennes français. L’état d’urgence exige que ce soit le chef de l’état qui prenne en main la situation. Il est temps pour la France d’en finir avec le système de cohabitation imposé à Hollande en 2014, au cœur de la crise ukrainienne, alors que rien ne justifiait un tel changement de gouvernement2.

Le terrorisme est aujourd’hui un phénomène international, la réponse doit elle aussi être internationale. C’est, il me semble déjà le cas, quand Etats-Unis et Russie s’entendent enfin sur un début de stratégie commune, quand François Hollande en appelle à l’ONU. Mais n’aurait-ce pas dû être fait plus tôt, bien plus tôt, au lieu de s’engager comme un petit caniche derrière l’ami américain (rôle dans lequel ont excellé les derniers Ministres aux affaires étrangères français) ?

Le président français a raison de prêcher pour une coalition unique européenne et internationale, c’est ce que le gouvernement français aurait dû faire depuis longtemps, plutôt que tenter de louvoyer entre différents fronts géostratégiques qui n’ont apporté à la France ni puissance, ni grandeur. Il aurait été utile d’en appeler incessamment, notamment auprès de Angela Merkel dans le cadre de la crise des migrants ou auprès de la Grande-Bretagne qui fait bande à part en Europe, réfugiée sur son île (on ne va quand même pas refaire le film de l’avant deuxième guerre mondiale), auprès des institutions européennes, Commission, Mme Mogherini, Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, du Parlement européen… 3

Cependant il y a toute une dimension que le président français oublie dans son discours : la coalition des peuples européens ne se fera que dans le respect des valeurs démocratiques, des droits et des libertés fondamentales qu’il appelle à défendre.
 
Cela suppose qu’il soit capable non seulement de s’adresser à ses pairs, mais aussi aux citoyens, ceux qui partout en Europe ont déposé des bougies et des fleurs au pied des drapeaux français en mémoire aux victimes des attentats de Paris, ceux qui ont mis en berne leur page facebook, leur photo de profils dans un grand élan de générosité, de solidarité, de fraternité, car le combat des Français est celui des Européens.

La réponse nationale à un drame né de la faiblesse du cadre national à traiter les sources du problème est le piège dans lequel l'Europe peut sombrer une nouvelle fois. Les Français doivent en être conscients, seuls, même en s’enfermant derrière des barrières, de nouveaux murs contre lesquels la majorité des peuples libres et démocratiques ont lutté, des chasse aux sorcières qui mettraient en péril les acquis communautaires , ils ne seront rien. Certains fléaux ne connaissent pas de frontières.

Monsieur le Président de la France tous ces gens-là valent bien un discours, un remerciement, et qu’on les laisse s’exprimer sur les voies qu’ils entendent défendre face à un ennemi qui est également installé chez eux.

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2 La gauche n'avait pas brillé dans les élections départementales qui suivaient la première année d'action gouvernementale ? Sanction récurrente qui a affecté tous les gouvernements depuis au moins 20 ans, sans que cela n'oblige quiconque à en changer... si ce n'est pour mettre en place une vraie cohabitation droite-gauche, comme autour les années 2000 à l'époque de Chirac. Le changement de gouvernement de 2014 avait décidément des allures de coup d'état.