En ces temps de montée de crises économique et financière mondiales, à un moment où les élites françaises se vautrent dans un modèle américaniste[1] ultra-libéral, pourtant en pleine implosion outre-Atlantique[2], il peut être utile de rappeler une équation fondamentale dont l'actuelle génération de dirigeants européens semble vouloir ignorer l'un des termes : c'est grâce à la construction européenne et à la généralisation des systèmes de protection sociale que l'Europe a réussi à éviter ses traditionnelles guerres civiles depuis 60 ans.
Pour ce qui est de la construction européenne et de la paix, pas de problème. Le credo est bien ancré et le slogan est répété sans fin à l'occasion du moindre événement politique européen : référendum, anniversaire européen, ... pub de la Commission. « L'Europe c'est la paix » se décline même en affiche[3]. Nos actuelles élites nationales ne comprennent rien au projet européen, mais elles ont au moins retenu cette idée basique que leur a enseignée la génération de leurs parents.
Mais en revanche, pour ce qui est du reste de l'équation, à savoir la Sécu, là ils n'ont visiblement rien retenu.
Pourtant, il n'est pas besoin d'être un grand expert de l'histoire européenne pour constater que les systèmes de protection sociale généralisés à toute la population d'un pays se sont mis en place en Europe après la Seconde Guerre Mondiale[4]. Les trois principes fondamentaux sur lesquels s'appuient les systèmes européens (qui peuvent varier en termes opérationnels) sont l'universalité, l'unicité et l'égalité. Et ce n'est pas un hasard si l' « invention » de cette protection sociale moderne correspond à la plus longue période de paix et de prospérité du continent européen. En effet, la montée des fascismes au cours des années 1930 avait mis en lumière le grave danger pour la démocratie et pour la paix que représentaient des millions de pauvres, sans travail et sans revenus, proies faciles des dictateurs et des idéologies xénophobes et ultranationalistes. Au-delà des exigences morales et sociales, la mise en oeuvre de la Sécu, c'était aussi pour les dirigeants de l'après-guerre un moyen de couper l'herbe sous les pieds des futurs Hitler, Mussolini, Pétain…
Ainsi, contrairement aux idées « ready-made in Washington » que consomment depuis une vingtaine d'années nos piètres élites européennes, il s'avère que la protection sociale universelle est toute aussi importante que la construction européenne à la préservation de la paix en Europe.
Ceci ne veut bien entendu pas dire qu'il ne faut pas adapter et transformer les systèmes de protection sociale en Europe; bien au contraire! Il faut en effet les améliorer afin de les rendre compatibles avec la société européenne du 21ème siècle. Mais pour ce faire, il s'agit de trouver un Einstein qui étend et développe les principes de base de la gravitation découverts par Newton; et non pas un Attila qui fait table rase de tout ce qu'il trouve sur son passage. Or l'Américanisme, c'est Attila; pas Einstein.
Il suffit de constater aujourd'hui les résultats de vingt cinq ans d'expérience idéologique ultra-libérale américaniste, pour s'en rendre compte:
Et je m'arrêterai là pour cet article qui n'a pas vocation à faire l'autopsie de l' «américanisme socio-économique».
Les principes mis en avant après 1945 pour fonder les systèmes sociaux européens sont toujours d'actualité (universalité, unicité et égalité) car ils définissent un système cohérent:
tout le monde en bénéficie, tout le monde est dans le même « bateau » et chacun reçoit comme le voisin. En revanche, de nouvelles dimensions et de nouvelles méthodes doivent être intégrées aux systèmes en place. L'individualisation des prestations et des cotisations est désormais réalisable grâce aux nouvelles technologies de l'information, tout en respectant les trois principes fondamentaux. La responsabilisation des acteurs du système est possible grâce à l'éducation socio-économique nettement plus sophistiquée des générations actuelles et à venir. L'interaction et l'évaluation de pans entiers des systèmes sont désormais faisables en impliquant les usagers et les prestataires.
Enfin la solidarité européenne, du fait notamment des conséquences socio-économiques de l'Euro, sera la prochaine dimension à intégrer dans le système européen des systèmes nationaux de protection sociale. C'est d'ailleurs l'une des composantes des grands axes du programme socio-économique récemment adopté par les membres de Newropeans.
D'autres développements sont certainement nécessaires. Mais, dans tous les cas, nous Européens, devons garder à l'esprit que les apprentis sorciers qui nous vantent l'échec américaniste comme un modèle à suivre veulent ignorer que le démantèlement de nos systèmes de protection sociale « à l'Européenne » conduira tout droit au grand retour des petits-fils d'Hitler, Pétain, Franco, Mussolini et Staline. Les capitaines d'industrie comme les généraux adorent les armées de pauvres qui n'ont rien à perdre! Elles sont dociles et sans principes.
Franck Biancheri (24/01/2008)
Président Newropeans
[1] cf. à ce sujet mon article dans Newropeans-Magazine: Europe: La trahison des élites - Les Américanistes sont les pires amis des Américains
http://www.newropeans-magazine.org/index.php?option=com_content&task=view&id=7279&Itemid=110
[2] Il suffit de consulter le consternant rapport Attali (http://www.liberationdelacroissance.fr/files/rapports/rapportCLCF.pdf) recueil inspiré par une parfaite vision américaniste de la société : pas un mot sur l'Europe, attaque en règle des processus de solidarité sociale ou locale,
vision parisio-centriste, parti pris pour les intérêts des grands groupes de distribution ou réseaux de franchise, réduction du citoyen au consommateur, ... et litanie sur la « croissance », sorte de déité à laquelle il faut sacrifier histoire, culture et citoyenneté. C'est en tout cas une recette parfaite pour créer une « France subprime » comme on a déjà désormais des « Etats-Unis subprime », des pays « tiers-mondisés » avec une minorité ultra-riche, une classe moyenne anémique et une large classe de pauvres.
[3] Voir les articles suivants: 1936: Le Nazisme apporte la Paix; 1956: Le Communisme c’est la paix; 2006: L’Europe fait la Paix (NM 24/10/2006) & Europe 2009: Quand les petits-fils d’Hitler, de Pétain, de Franco et de Mussolini prendront pouvoir (NM 10/5/2007)
http://www.newropeans-magazine.org/index.php?option=com_content&task=view&id=4786&Itemid=110
http://www.newropeans-magazine.org/index.php?option=com_content&task=view&id=5714&Itemid=84
[4] Initié par Bismark en Allemagne à la fin du 19° siècle pour contrer l'influence des mouvements socialistes et communistes, le système est formalisé au Royaume-Uni sous sa forme moderne par William Beveridge au début des années 1940 en s'appuyant sur 3 principes-clés : universalité, unicité, égalité. Il se généralise dans toute l'Europe après 1945.
Pour ce qui est de la construction européenne et de la paix, pas de problème. Le credo est bien ancré et le slogan est répété sans fin à l'occasion du moindre événement politique européen : référendum, anniversaire européen, ... pub de la Commission. « L'Europe c'est la paix » se décline même en affiche[3]. Nos actuelles élites nationales ne comprennent rien au projet européen, mais elles ont au moins retenu cette idée basique que leur a enseignée la génération de leurs parents.
Mais en revanche, pour ce qui est du reste de l'équation, à savoir la Sécu, là ils n'ont visiblement rien retenu.
Pourtant, il n'est pas besoin d'être un grand expert de l'histoire européenne pour constater que les systèmes de protection sociale généralisés à toute la population d'un pays se sont mis en place en Europe après la Seconde Guerre Mondiale[4]. Les trois principes fondamentaux sur lesquels s'appuient les systèmes européens (qui peuvent varier en termes opérationnels) sont l'universalité, l'unicité et l'égalité. Et ce n'est pas un hasard si l' « invention » de cette protection sociale moderne correspond à la plus longue période de paix et de prospérité du continent européen. En effet, la montée des fascismes au cours des années 1930 avait mis en lumière le grave danger pour la démocratie et pour la paix que représentaient des millions de pauvres, sans travail et sans revenus, proies faciles des dictateurs et des idéologies xénophobes et ultranationalistes. Au-delà des exigences morales et sociales, la mise en oeuvre de la Sécu, c'était aussi pour les dirigeants de l'après-guerre un moyen de couper l'herbe sous les pieds des futurs Hitler, Mussolini, Pétain…
Ainsi, contrairement aux idées « ready-made in Washington » que consomment depuis une vingtaine d'années nos piètres élites européennes, il s'avère que la protection sociale universelle est toute aussi importante que la construction européenne à la préservation de la paix en Europe.
Ceci ne veut bien entendu pas dire qu'il ne faut pas adapter et transformer les systèmes de protection sociale en Europe; bien au contraire! Il faut en effet les améliorer afin de les rendre compatibles avec la société européenne du 21ème siècle. Mais pour ce faire, il s'agit de trouver un Einstein qui étend et développe les principes de base de la gravitation découverts par Newton; et non pas un Attila qui fait table rase de tout ce qu'il trouve sur son passage. Or l'Américanisme, c'est Attila; pas Einstein.
Il suffit de constater aujourd'hui les résultats de vingt cinq ans d'expérience idéologique ultra-libérale américaniste, pour s'en rendre compte:
- un taux d'inégalité sociale équivalent aux pays du tiers-monde
- un tiers des Américains sans couverture sociale (et cette proportion est en hausse)
- une espérance de vie en régression par rapport aux autres pays développés
- des dépenses de santé par habitant les plus importantes de la planète (donc le modèle américaniste gaspille encore plus d'argent que les systèmes européens)
- un système éducatif en plein effondrement.
Et je m'arrêterai là pour cet article qui n'a pas vocation à faire l'autopsie de l' «américanisme socio-économique».
Les principes mis en avant après 1945 pour fonder les systèmes sociaux européens sont toujours d'actualité (universalité, unicité et égalité) car ils définissent un système cohérent:
tout le monde en bénéficie, tout le monde est dans le même « bateau » et chacun reçoit comme le voisin. En revanche, de nouvelles dimensions et de nouvelles méthodes doivent être intégrées aux systèmes en place. L'individualisation des prestations et des cotisations est désormais réalisable grâce aux nouvelles technologies de l'information, tout en respectant les trois principes fondamentaux. La responsabilisation des acteurs du système est possible grâce à l'éducation socio-économique nettement plus sophistiquée des générations actuelles et à venir. L'interaction et l'évaluation de pans entiers des systèmes sont désormais faisables en impliquant les usagers et les prestataires.
Enfin la solidarité européenne, du fait notamment des conséquences socio-économiques de l'Euro, sera la prochaine dimension à intégrer dans le système européen des systèmes nationaux de protection sociale. C'est d'ailleurs l'une des composantes des grands axes du programme socio-économique récemment adopté par les membres de Newropeans.
D'autres développements sont certainement nécessaires. Mais, dans tous les cas, nous Européens, devons garder à l'esprit que les apprentis sorciers qui nous vantent l'échec américaniste comme un modèle à suivre veulent ignorer que le démantèlement de nos systèmes de protection sociale « à l'Européenne » conduira tout droit au grand retour des petits-fils d'Hitler, Pétain, Franco, Mussolini et Staline. Les capitaines d'industrie comme les généraux adorent les armées de pauvres qui n'ont rien à perdre! Elles sont dociles et sans principes.
Franck Biancheri (24/01/2008)
Président Newropeans
[1] cf. à ce sujet mon article dans Newropeans-Magazine: Europe: La trahison des élites - Les Américanistes sont les pires amis des Américains
http://www.newropeans-magazine.org/index.php?option=com_content&task=view&id=7279&Itemid=110
[2] Il suffit de consulter le consternant rapport Attali (http://www.liberationdelacroissance.fr/files/rapports/rapportCLCF.pdf) recueil inspiré par une parfaite vision américaniste de la société : pas un mot sur l'Europe, attaque en règle des processus de solidarité sociale ou locale,
vision parisio-centriste, parti pris pour les intérêts des grands groupes de distribution ou réseaux de franchise, réduction du citoyen au consommateur, ... et litanie sur la « croissance », sorte de déité à laquelle il faut sacrifier histoire, culture et citoyenneté. C'est en tout cas une recette parfaite pour créer une « France subprime » comme on a déjà désormais des « Etats-Unis subprime », des pays « tiers-mondisés » avec une minorité ultra-riche, une classe moyenne anémique et une large classe de pauvres.
[3] Voir les articles suivants: 1936: Le Nazisme apporte la Paix; 1956: Le Communisme c’est la paix; 2006: L’Europe fait la Paix (NM 24/10/2006) & Europe 2009: Quand les petits-fils d’Hitler, de Pétain, de Franco et de Mussolini prendront pouvoir (NM 10/5/2007)
http://www.newropeans-magazine.org/index.php?option=com_content&task=view&id=4786&Itemid=110
http://www.newropeans-magazine.org/index.php?option=com_content&task=view&id=5714&Itemid=84
[4] Initié par Bismark en Allemagne à la fin du 19° siècle pour contrer l'influence des mouvements socialistes et communistes, le système est formalisé au Royaume-Uni sous sa forme moderne par William Beveridge au début des années 1940 en s'appuyant sur 3 principes-clés : universalité, unicité, égalité. Il se généralise dans toute l'Europe après 1945.