TROUVER LES RESSOURCES INTRINSÈQUES À L’EUROPE POUR SE LIBÉRER DU PIÈGE AMERICAIN
Mais si l’Ukraine, petit pays de moins de 50 millions d’habitants aux frontières des deux monstres que sont l’Europe et la Russie, n’a réellement pas eu d’autre option que de « choisir son camp » en effet, il n’en est pas de même de l’Europe. Et cette crise est bel et bien un test de la capacité des décideurs nationaux à se saisir de l’outil d’indépendance, de puissance et de paix que leurs pères (les générations de politiques qui ont gouverné jusqu’à la fin des années 80 essentiellement) ont mis à leur disposition, cette Europe unie et institutionnalisée, qu’il ne reste plus qu’à mettre sous contrôle politique.
La difficulté, c’est que l’outil dont les politiques doivent aujourd’hui se saisir, ce n’est pas l’Union Européenne. Comme nous l’avons maintes fois expliqué, l’UE est une étape de la construction européenne dont il faut au contraire se délester. La crise ukrainienne en est d’ailleurs l’ultime indice. Le cadre UE, né du Traité de Maastricht de 1992[1] , et qui aurait dû mener vers l’union politique et démocratique du continent a été détourné de ses objectifs. De Maastricht à Lisbonne[2] , c’est une Europe tout-économique (élargissement sans fin d’une zone de libre-échange) qui s’est mise en place, celle que rejettent à juste titre les populations aujourd’hui, qui ne sert plus que les intérêts des plus gros lobbies bruxellois (qui ne sont pas les États membres, loin s’en faut) et dont on voit maintenant à quelles fins dramatiques (guerre, perte d’autonomie) elle est prête à exposer le continent.
Voici huit recommandations qui, selon notre équipe, sont à mettre en œuvre de toute urgence pour sortir l’Europe du piège qu’elle s’est tendu.
La difficulté, c’est que l’outil dont les politiques doivent aujourd’hui se saisir, ce n’est pas l’Union Européenne. Comme nous l’avons maintes fois expliqué, l’UE est une étape de la construction européenne dont il faut au contraire se délester. La crise ukrainienne en est d’ailleurs l’ultime indice. Le cadre UE, né du Traité de Maastricht de 1992[1] , et qui aurait dû mener vers l’union politique et démocratique du continent a été détourné de ses objectifs. De Maastricht à Lisbonne[2] , c’est une Europe tout-économique (élargissement sans fin d’une zone de libre-échange) qui s’est mise en place, celle que rejettent à juste titre les populations aujourd’hui, qui ne sert plus que les intérêts des plus gros lobbies bruxellois (qui ne sont pas les États membres, loin s’en faut) et dont on voit maintenant à quelles fins dramatiques (guerre, perte d’autonomie) elle est prête à exposer le continent.
Voici huit recommandations qui, selon notre équipe, sont à mettre en œuvre de toute urgence pour sortir l’Europe du piège qu’elle s’est tendu.
1. Revenir à la méthode intergouvernementale
Dans cette situation extrêmement grave, aucun espoir n’est à attendre de Bruxelles (pas plus de la Commission européenne que du Parlement européen, malheureusement), bien au contraire. Les affaires doivent donc impérativement revenir aux États membres et à la méthode dite « intergouvernementale ».
2. Désactiver ou mettre sous contrôle politique le Service Européen d’Action Extérieure
Pour ce faire, il est impératif de sanctionner la politique irresponsable du Service d’Action Extérieure de la Commission européenne et de le rappeler à ses devoirs d’exécution des décisions prises par les États membres. Le Service d’Action Extérieure est un service diplomatique européen qui n’a pas la légitimité de parler au nom des Européens, encore moins de prendre des décisions stratégiques dont les conséquences sont la destruction de nos relations de voisinage, la suscitation de guerres civiles dans des pays limitrophes et la création ex-nihilo de risques de guerre ou de rideaux de fer. Tant sur le fond que sur la forme, il n’y a rien de plus facile que de rappeler à ses devoirs le SEAE et de le raccorder à une instance politique décisionnelle démocratiquement plus légitime.
3. Formuler une position commune sur la crise
C’est là que les choses se corsent. En effet, si Mme Ashton et M. O’Sullivan peuvent faire n’importe quoi depuis leur tour d’ivoire, c’est que « les Européens sont incapables de parler d’une voix unique ». Combien de fois n’a-t-on lu cette phrase depuis 25 ans ? Et elle en arrange plus d’un. Mais cette fois, l’Europe n’a pas le choix : elle doit parvenir à formuler une position unique, sinon d’autres agendas vont continuer à téléguider les opérations. L’objectif est donc impérieux et la question est « comment y parvenir ? ».
4. Définir un agenda commun pertinent
Il s’agit tout d’abord de mettre d’accord tout le monde sur l’objectif de cette position commune. Et compte tenu du fait que la guerre et la mise sous tutelle étrangère sont les dangers que courent l’Europe aujourd’hui, disons que l’objectif de la discussion est de trouver le moyen de maintenir la paix et l’indépendance de l’Europe. Cela fait 60 ans qu’on nous vend l’Europe comme garante de paix ; c’est le moment de prouver qu’elle sert bien à cela. Et exit les questions de type « comment garantir l’intégrité de l’Ukraine ? » et autres balivernes. Si l’Europe n’est pas capable de maintenir la sienne propre, que pourrait-elle faire d’utile pour l’Ukraine ? Et d’ailleurs, vu ce qu’elle a déjà fait, elle est hors-jeu pour le moment. Qu’elle remettre d’abord de l’ordre chez elle.
5. Identifier le groupe d’États membres pertinent
Le thème de la discussion étant maintenant posé, il faut se demander qui doivent être les participants, les acteurs de cette position commune. Mais déjà, quelles sont les possibilités ?
. Les 28 ? Les 28, c’est l’UE, tout d’abord… cette UE qui a toujours été incapable de parler d’une voix unique… et qui dans le cas particulier de l’Ukraine l’est plus que jamais. Trop nombreux, aux intérêts trop divergents, les 28 se composent d’une frange de petits pays anciens satellites de l’Union soviétique dont il est, de manière assez excusable, difficile de compter sur l’objectivité dans les circonstances actuelles (même si l’anti-« russisme » y est en réalité beaucoup moins fort que ce que la Commission européenne essaie de faire croire dans un but évidemment instrumental) ; et d’un gros pays, faux-nez des États-Unis en Europe (même si le lien UE-RU s’est considérablement distendu ces dernières années : perte d’efficacité, éloignement des logiques continentales, mise sous tutelle du pays par sa place financière). Obtenir une position commune sur la question ukrainienne est un exercice de haute-voltige dans lequel il ne vaut mieux pas se fourvoyer.
. Le moteur franco-allemand ? Il est malheureusement trop faible pour faire face à la violence de l’attaque à laquelle fait face l’Europe… Illégitime aussi : comment la position de deux pays pourrait-elle s’imposer à 26 autres dont il faut au moins remporter la passivité ? Enfin, si depuis peu ce couple se mettait à bien fonctionner sur les questions de moyen-terme et de moindre importance (résurrection de l’Europe[3] , protection des données UE de la NSA[4] , Europe de la défense à l’horizon 2025[5] , etc.), il ne semble pas capable de produire grand-chose face à une question urgente et de première gravité[6] . Par ailleurs, les positions de l’Allemagne (surtout une Allemagne dirigée par une Allemande de l’Est) sur les questions de relations avec la Russie sont d’une cohérence pour le moins difficile à déchiffrer : entre une très forte interdépendance avec la Russie (énergétique notamment, mais aussi commerciale) et de vieux réflexes anti-soviétiques, la ligne droite ne semble vraiment pas être le chemin le plus court. Il faut néanmoins reconnaître à Merkel qu’elle est la seule à tenter d’émettre parfois une position plus équilibrée sur la question ukrainienne et de nos relations avec les russes[7] (ce qui lui vaut d’ailleurs d’être méchamment attaquée par les médias et plus hypocritement par les institutions européennes). Mais, du côté français, pays pourtant central au principe fondamental d’indépendance du continent, on va de déception en ébahissement. On tente désespérément de deviner de subtiles diplomaties échappant à l’intelligence du citoyen-lambda. On a réussi à en voir dans la position française par rapport à la Syrie ; mais cette fois, on se perd en conjectures : camouflet diplomatique jeté à la face de la Russie par ce voyage aux États-Unis de François Hollande[8] le jour de l’inauguration de Sotchi, positions martiales intransigeantes vis-à-vis de Ianoukovitch ou de Poutine depuis[9] … Cela dit, nous l’avons vu, la pression des médias réduit considérablement la marge de manœuvre des politiques ; mais lorsqu’on a été élu comme responsable politique, on a aussi le devoir de s’émanciper des trappes de ce genre… surtout en des circonstances aussi graves. Décidément, le couple franco-allemand ne sera pas moteur.
. Un groupe ad hoc de pays volontaires pour ramener le calme sur le continent ? Ce serait une piste tentante… si elle ne revenait pas à la première : faire émerger une position commune de la cacophonie des 28. Oublions!
. Les 28 ? Les 28, c’est l’UE, tout d’abord… cette UE qui a toujours été incapable de parler d’une voix unique… et qui dans le cas particulier de l’Ukraine l’est plus que jamais. Trop nombreux, aux intérêts trop divergents, les 28 se composent d’une frange de petits pays anciens satellites de l’Union soviétique dont il est, de manière assez excusable, difficile de compter sur l’objectivité dans les circonstances actuelles (même si l’anti-« russisme » y est en réalité beaucoup moins fort que ce que la Commission européenne essaie de faire croire dans un but évidemment instrumental) ; et d’un gros pays, faux-nez des États-Unis en Europe (même si le lien UE-RU s’est considérablement distendu ces dernières années : perte d’efficacité, éloignement des logiques continentales, mise sous tutelle du pays par sa place financière). Obtenir une position commune sur la question ukrainienne est un exercice de haute-voltige dans lequel il ne vaut mieux pas se fourvoyer.
. Le moteur franco-allemand ? Il est malheureusement trop faible pour faire face à la violence de l’attaque à laquelle fait face l’Europe… Illégitime aussi : comment la position de deux pays pourrait-elle s’imposer à 26 autres dont il faut au moins remporter la passivité ? Enfin, si depuis peu ce couple se mettait à bien fonctionner sur les questions de moyen-terme et de moindre importance (résurrection de l’Europe[3] , protection des données UE de la NSA[4] , Europe de la défense à l’horizon 2025[5] , etc.), il ne semble pas capable de produire grand-chose face à une question urgente et de première gravité[6] . Par ailleurs, les positions de l’Allemagne (surtout une Allemagne dirigée par une Allemande de l’Est) sur les questions de relations avec la Russie sont d’une cohérence pour le moins difficile à déchiffrer : entre une très forte interdépendance avec la Russie (énergétique notamment, mais aussi commerciale) et de vieux réflexes anti-soviétiques, la ligne droite ne semble vraiment pas être le chemin le plus court. Il faut néanmoins reconnaître à Merkel qu’elle est la seule à tenter d’émettre parfois une position plus équilibrée sur la question ukrainienne et de nos relations avec les russes[7] (ce qui lui vaut d’ailleurs d’être méchamment attaquée par les médias et plus hypocritement par les institutions européennes). Mais, du côté français, pays pourtant central au principe fondamental d’indépendance du continent, on va de déception en ébahissement. On tente désespérément de deviner de subtiles diplomaties échappant à l’intelligence du citoyen-lambda. On a réussi à en voir dans la position française par rapport à la Syrie ; mais cette fois, on se perd en conjectures : camouflet diplomatique jeté à la face de la Russie par ce voyage aux États-Unis de François Hollande[8] le jour de l’inauguration de Sotchi, positions martiales intransigeantes vis-à-vis de Ianoukovitch ou de Poutine depuis[9] … Cela dit, nous l’avons vu, la pression des médias réduit considérablement la marge de manœuvre des politiques ; mais lorsqu’on a été élu comme responsable politique, on a aussi le devoir de s’émanciper des trappes de ce genre… surtout en des circonstances aussi graves. Décidément, le couple franco-allemand ne sera pas moteur.
. Un groupe ad hoc de pays volontaires pour ramener le calme sur le continent ? Ce serait une piste tentante… si elle ne revenait pas à la première : faire émerger une position commune de la cacophonie des 28. Oublions!
6. Demander une « Convention des chefs d’État de la zone euro pour la paix et l’indépendance de l’Europe »
En procédant par élimination, il ne reste qu’une piste : la zone euro ou Euroland, encore elle. Mais, autant sur les attaques de l’euro, elle était l’interlocuteur évident et incontournable, autant cela paraît moins simple sur la question géopolitique qui nous préoccupe. Et pourtant !
Tout d’abord, elle est et demeure l’entité naissante composée du noyau-dur des pays fondateurs ; elle est libre de la frange occidentale et occidentaliste britannique de l’Europe ; et concernant la frange orientale et anti-orientaliste (anti-russe) de l’Europe, elle est représentée (ce qui est important) mais d’une manière qui ne risque pas de peser trop lourd et laisse la possibilité aux pays plus centraux d’affûter des arguments destinés à rassurer cette partie des Européens sur l’innocuité de leur position frontalière avec la zone d’influence russe (et les arguments sont nombreux et faciles à trouver) ; sa composition est représentative de la diversité de l’UE, elle est donc à même de générer un effet d’entraînement et de remporter l’adhésion (ou comme on l’a déjà dit, au moins la passivité) des autres.
Par ailleurs, l’Euroland s’est construit dans la crise de l’euro et dispose maintenant d’outils incomplets certes, mais modernes et performants. Et surtout, l’étape de politisation de cette nouvelle entité était déjà au programme, comme les Manifestes pour une union politique de l’euro[10] , propositions pour un parlement de la zone euro[11] , et autres idées novatrices[12] en ont témoigné ces derniers mois.
Après tout, l’Europe s’est toujours construite dans les crises ; et la crise ukrainienne, aussi dangereuse et désespérante soit-elle, est sans doute aussi celle dont l’Europe a besoin pour franchir enfin cette dernière et si difficile étape de l’union politique.
Et dernier argument : que l’Euroland parvienne à parler d’une voix unique sur la crise actuelle n’est pas certain… mais c’est là seulement qu’une vague lueur d’espoir brille ; l’Europe n’a pas vraiment d’autre chance de réussir à formuler une position commune.
C’est donc une « Convention des chefs d’État de la zone euro pour la paix et l’indépendance de l’Europe » que nous devons obtenir… et vite ! Mais la dernière question qui se pose, c’est qui convoquera une telle Convention ? Cela pourrait être le couple franco-allemand mais on a vu que, pour des raisons pas toutes élucidées, la capacité d’entraînement de ce couple est désamorcée en ce qui concerne la crise actuelle.
Tout d’abord, elle est et demeure l’entité naissante composée du noyau-dur des pays fondateurs ; elle est libre de la frange occidentale et occidentaliste britannique de l’Europe ; et concernant la frange orientale et anti-orientaliste (anti-russe) de l’Europe, elle est représentée (ce qui est important) mais d’une manière qui ne risque pas de peser trop lourd et laisse la possibilité aux pays plus centraux d’affûter des arguments destinés à rassurer cette partie des Européens sur l’innocuité de leur position frontalière avec la zone d’influence russe (et les arguments sont nombreux et faciles à trouver) ; sa composition est représentative de la diversité de l’UE, elle est donc à même de générer un effet d’entraînement et de remporter l’adhésion (ou comme on l’a déjà dit, au moins la passivité) des autres.
Par ailleurs, l’Euroland s’est construit dans la crise de l’euro et dispose maintenant d’outils incomplets certes, mais modernes et performants. Et surtout, l’étape de politisation de cette nouvelle entité était déjà au programme, comme les Manifestes pour une union politique de l’euro[10] , propositions pour un parlement de la zone euro[11] , et autres idées novatrices[12] en ont témoigné ces derniers mois.
Après tout, l’Europe s’est toujours construite dans les crises ; et la crise ukrainienne, aussi dangereuse et désespérante soit-elle, est sans doute aussi celle dont l’Europe a besoin pour franchir enfin cette dernière et si difficile étape de l’union politique.
Et dernier argument : que l’Euroland parvienne à parler d’une voix unique sur la crise actuelle n’est pas certain… mais c’est là seulement qu’une vague lueur d’espoir brille ; l’Europe n’a pas vraiment d’autre chance de réussir à formuler une position commune.
C’est donc une « Convention des chefs d’État de la zone euro pour la paix et l’indépendance de l’Europe » que nous devons obtenir… et vite ! Mais la dernière question qui se pose, c’est qui convoquera une telle Convention ? Cela pourrait être le couple franco-allemand mais on a vu que, pour des raisons pas toutes élucidées, la capacité d’entraînement de ce couple est désamorcée en ce qui concerne la crise actuelle.
7. Si les États n’en sont pas capables tout seuls, constituer un groupe de pression citoyen convoquant cette Convention
En réalité, nous sommes là encore sur un test, celui de la vitalité du principe démocratique-à-l’européenne : il appartient probablement aux citoyens, via la constitution d’un groupe qualitativement représentatif d’organisations de la société civile européenne, d’appeler à la tenue de cette Convention, voire de la convoquer.
Mais la partie est loin d’être gagnée. Les rouages politiques et démocratiques européens sont considérablement affaiblis. Des coups d’État ont lieu qui ne dérangent plus personne (Renzi en Italie[13]), des pays peuvent vivre sans gouvernement sans que cela pose problème (Belgique[14] ), des jeunes gens de 29 ans sont nommés comme Ministres des Affaires Etrangères[15] sans que personne n’y voit à redire (Autriche)… Ailleurs, des gouvernements déraillent de l’état de droit (Espagne[16] , Royaume-Uni[17] , Hongrie[18] …). Quelques pays donnent l’impression que la politique nationale compte encore parce qu’ils siègent dans les instances internationales (Royaume-Uni, France, Allemagne) ; en réalité, au lieu de servir l’indépendance de ces pays et des groupes supra-nationaux qu’ils devraient représenter, ces sièges achètent leur assujettissement au(x) plus fort(s)… La déconnexion entre les politiques (nationaux) et les instruments du pouvoir (européens), depuis plus de deux décennies, affaiblit nos gouvernements qui, aussitôt élus, perdent tout soutien populaire faute de capacité à réaliser les transformations politico-sociales demandées par les majorités exprimées mais bloquées par des minorités ultra-agissantes (France bien sûr[19] , mais pas seulement). Enfin la dernière crise a encore affaibli les gouvernements nationaux et le niveau européen politiquement.
Bref, il est temps d’en finir avec la division politique des pays européens dont les gouvernements, séparément, ne servent à rien ou presque. Ce n’est qu’en parachevant l’objectif initial de tout le travail de construction européenne dans lequel nous ont engagé les grands visionnaires politiques de l’Europe d’après-guerre, à savoir en organisant leur union, que les citoyens européens pourront prendre la maîtrise de leur destin collectif.
Mais la partie est loin d’être gagnée. Les rouages politiques et démocratiques européens sont considérablement affaiblis. Des coups d’État ont lieu qui ne dérangent plus personne (Renzi en Italie[13]), des pays peuvent vivre sans gouvernement sans que cela pose problème (Belgique[14] ), des jeunes gens de 29 ans sont nommés comme Ministres des Affaires Etrangères[15] sans que personne n’y voit à redire (Autriche)… Ailleurs, des gouvernements déraillent de l’état de droit (Espagne[16] , Royaume-Uni[17] , Hongrie[18] …). Quelques pays donnent l’impression que la politique nationale compte encore parce qu’ils siègent dans les instances internationales (Royaume-Uni, France, Allemagne) ; en réalité, au lieu de servir l’indépendance de ces pays et des groupes supra-nationaux qu’ils devraient représenter, ces sièges achètent leur assujettissement au(x) plus fort(s)… La déconnexion entre les politiques (nationaux) et les instruments du pouvoir (européens), depuis plus de deux décennies, affaiblit nos gouvernements qui, aussitôt élus, perdent tout soutien populaire faute de capacité à réaliser les transformations politico-sociales demandées par les majorités exprimées mais bloquées par des minorités ultra-agissantes (France bien sûr[19] , mais pas seulement). Enfin la dernière crise a encore affaibli les gouvernements nationaux et le niveau européen politiquement.
Bref, il est temps d’en finir avec la division politique des pays européens dont les gouvernements, séparément, ne servent à rien ou presque. Ce n’est qu’en parachevant l’objectif initial de tout le travail de construction européenne dans lequel nous ont engagé les grands visionnaires politiques de l’Europe d’après-guerre, à savoir en organisant leur union, que les citoyens européens pourront prendre la maîtrise de leur destin collectif.
8. Bloquer tout processus d’élargissement de la zone euro jusqu’à son union politique
Et il faut faire vite, car cette base pertinente d’union politique fournie par l’Euroland, nous ne sommes pas les seuls à l’avoir repérée. Les stratèges du système washingtonien[20] se sont également rendu compte du potentiel de transition de cette zone euro qu’ils ont eux-mêmes bien malgré eux contribué à renforcer, comme on l’a dit plus haut, via leur attaque sur l’euro. Le coup d’État de Renzi met à la tête de l’Italie, gros morceau de la zone euro, un gouvernement non démocratique plus favorable aux Américains[21] ; le Commissaire estonien, Siim Kallas, ami de Barroso-l’Américaniste qui, à l’encontre de tous les textes juridiques en la matière, l’a autorisé à faire campagne pour le poste de premier-ministre de son pays[22], sera un dirigeant servile à la cause washingtonienne nourri au biberon de cette UE qui n’a presque plus rien d’européen[23]] ; la France semble avoir récemment fait l’objet de la part de Washington de pressions gigantesques qui portent déjà leurs fruits … Bref, la zone euro commence à perdre toute capacité de structuration.
Une dernière recommandation s’impose donc : bloquer tout élargissement de la zone euro jusqu’à ce que l’union politique soit réalisée. L’élargissement de l’UE a servi la cause de la dépolitisation du projet européen ; ne répétons pas les erreurs sciemment !
Nouveau flotteur de l’Amérique[24] ou continent indépendant ? L’avenir de l’Europe se joue dans les semaines à venir. Monde bipolaire Occident-reste du monde, enfermé derrière un mur de fer, ou monde multipolaire où l’Europe indépendante et une Amérique régénérée prendront la place qui leur revient aux côtés des puissances chinoises, brésiliennes, africaines, indiennes et russes ? C’est aujourd’hui qu’il faut se battre pour le meilleur de ces deux avenirs. Toutes les possibilités sont encore sur la table, en l’occurrence celle de l’Europe, mais dans quelques mois l’un ou l’autre scenario se sera imposé.
Une dernière recommandation s’impose donc : bloquer tout élargissement de la zone euro jusqu’à ce que l’union politique soit réalisée. L’élargissement de l’UE a servi la cause de la dépolitisation du projet européen ; ne répétons pas les erreurs sciemment !
Nouveau flotteur de l’Amérique[24] ou continent indépendant ? L’avenir de l’Europe se joue dans les semaines à venir. Monde bipolaire Occident-reste du monde, enfermé derrière un mur de fer, ou monde multipolaire où l’Europe indépendante et une Amérique régénérée prendront la place qui leur revient aux côtés des puissances chinoises, brésiliennes, africaines, indiennes et russes ? C’est aujourd’hui qu’il faut se battre pour le meilleur de ces deux avenirs. Toutes les possibilités sont encore sur la table, en l’occurrence celle de l’Europe, mais dans quelques mois l’un ou l’autre scenario se sera imposé.
2020[25] , c’est maintenant et c’est en Europe !
LEAP/E2020
Extraits du GEAB N°83
(15 mars 2014)
[1] Source : Commission européenne.
[2] Source : Traité de Lisbonne, Wikipédia.
[3] Source : EUObserver, 17/02/2014.
[4] Source : EUObserver, 17/02/2014.
[5] Source : 20 minutes, 19/02/2014.
[6] La tentative de parole commune sur l’Ukraine à l’issue du sommet franco-allemand a accouché d’une souris. Source : European Voice, 19/02/2014.
[7] Source : Der Spiegel, 04/03/2014.
[8] Source : Europe1, 07/02/2014.
[9] Source : NouvelObs, 11/03/2014.
[10] Source : Le Monde, 16/02/2014.
[11] Source : Reuters, 27/01/2014.
[12] Comme le document « Vers une Union de l’euro » du Glienicker Gruppe. Source : Bruegel, 18/10/2014.
[13] Source : The Local.it, 19/02/2014.
[14] Source : Crise politique belge 2010/2011, Wikipédia.
[15] Source : Le Monde, 13/12/2013.
[16] Qui remet en question le droit à l’avortement ou le droit de manifestation. Source : The Telegraph, 20/12/2013.
[17] Qui élimine les lois protectrices des droits de l’homme de son corpus juridique comme on l’a vu en janvier (GEAB N°81).
[18] Qui modifie la constitution sur les aspects de liberté de la presse par exemple. Source : BBC, 02/08/2013.
[19] Avec cette montée dans les rues d’ultra-conservateurs absolument non-représentatifs de la très grande majorité de l’opinion publique française. Source : Reuters, 02/02/2014.
[20] Peut-on appeler « conspirationnisme » le fait de dire que Washington conçoit des stratégies et que certaines parfois peuvent réussir ? Le GEAB n’est certainement pas connu pour surestimer les États-Unis… mais il n’est pas non plus question de les sous-estimer complètement.
[21] Encore un dont la montée en puissance était prévue par les anglo-saxons : «Renzi is a Europeanist and a ‘friend of the United States’ ». Source : LSE, 29/11/2013.
[22] Source : EUObserver, 10/03/2014.
[23] Pour se donner une idée de ses positions sur les questions internationales, lire par exemple ce discours qu’il a prononcé lorsqu’il était Ministre des Affaires Étrangères de son pays. Source : Ministère des Affaires Étrangères de l’Estonie.
[24] Le GEAB a souvent appelé l’Angleterre et le Japon les deux flotteurs de l’Amérique. La signature de ces deux traités de libre échange (transatlantique et trans-pacifique) correspondrait à un renforcement considérable de chacun de ces flotteurs par l’extension du flotteur japonais à l’Asie non-chinoise et celle du flotteur britannique à l’Europe non-russe… au détriment de l’auto-détermination de chacun de ces continents. Ça c’est le plan US, mais personne n’est obligé de s’y plier… il n’est en effet conçu que dans le seul intérêt de l’Amérique… ou plutôt d’une certaine conception de l’Amérique, conception dans laquelle la plupart des Américains ne se retrouvent même pas ! Il y a une autre conception à mettre en avant, et c’est celle du monde multipolaire.
[25] Les travaux d’anticipation politique de LEAP sont la dernière étape en date d’un projet initié en 1999 par Franck Biancheri et Marie-Hélène Caillol intitulé « Europe 2020 » et destiné à contribuer (sur la base de l’identification la plus précise possible des grandes tendances à l’œuvre en et autour de l’Europe) à emmener notre continent sur les bonnes pistes, compte tenu d’un certain nombre d’objectifs principiels : paix, prospérité, démocratie, auto-détermination, etc. La plupart des pistes repérées dans le cadre de ces travaux n’ont pas été empruntées par l’Europe. Mais la crise systémique globale et l’attaque sur l’euro ont créé les conditions pour que l’une d’entre elle le soit enfin : l’institutionnalisation de la zone euro en Euroland. Le processus positif initié en 2010 porte en germes la perspective d’un scenario positif pour l’Europe de 2020. Encore faut-il que la crise ukrainienne nous serve à transformer l’essai. Sinon, c’est le scenario sombre qui va commencer à peser le plus lourd.
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